Se prendre au jeu ! 

Par Laurent (novembre 2010)

Forcément entouré des meilleures certitudes, et plutôt satisfait du rythme de la croisière, je ne pouvais imaginer que tel appel d’air pût encore me bousculer…
Débordants de ressources, les enfants remuent, agitent, décollent finalement, l’endormissement léthargique que nous secrétons trop aisément.

Voici donc, qu’en cette fin d’année scolaire, une rumeur, colportée par le cercle restreint des parents festifs, devenait insistante au point que mon propre fils eut jugé bon me la relayer : les enfants des fameux parents festifs souhaitaient copiner autour du rugby.

Quelle idée saugrenue, quel prétexte étonnant. Si, nous, parents, n’imaginons que le meilleur pour notre progéniture, c’est que nous pensons, en parfaite honnêteté, et en toute simplicité, avoir réglé définitivement la question de l’héritage intellectuelle. Mais précisément, comment, mon propre fils pouvait-il croire que son père allait désavouer, d’un revers de la main, ce qui l’a porté, enthousiasmé, pour se tourner vers un autre objet, a fortiori ennemi juré ? Comment cette ovalie pouvait-elle rendre caduque toute une vie parfaitement circulaire ? Et quelle déception, surtout, de voir son propre prolongement vendre son âme au camp d’en-face. Quelle défaillance éducative, quel dysfonctionnement a pu favoriser cette incongruité ? Je sentais le questionnement m’envahir, le doute me harceler, je décidais pourtant de conserver la posture… Contre mauvaise fortune bon cœur, je décidais de collaborer…

La main à la pâte

Du samedi, devenu lève-tard, j’en ferai journée blanche, transparente, jour du Seigneur quoi, rien donc !

Projeté au beau milieu d’un complexe sportif tout fringuant, et sur une pelouse à faire pâlir de jalousie les adeptes du ballon-pied, je retrouvais l’un des parents… dans un rôle que j’ignorais. Tout penaud, le regard oblique, des petits souliers pour s’y refugier, je lui découvre une attitude inattendue. Il m’explique dans une rhétorique visiblement étudiée, l’impérieuse nécessité désormais de botter en touche les idées reçues, de notre devoir de sortir de la mêlée, de l’obligation de prendre des risques pour déborder et s’intercaler, et finalement de ne plus hésiter à franchir la ligne… Mes doutes quant à son légalisme s’y voyaient confirmer quand il crut bon d’ajouter que mon fils pourrait désormais plaquer sans vergogne, haut ou à retardement, que dans les phases de conquête, il s’était montré doué pour le jeu au sol, qu’il ne rechignait pas au casse-pipe… Il évoqua les multiples combinaisons, la passe sautée, les occasions vendangées, la percussion côté fermé, l’obstruction, la chandelle, et le raffut engendré… Mes chastes oreilles s’étourdissaient. Je me souviens surtout de ma solitude. Dans quel pétrin avais-je donc pu autoriser mon fils à se fourguer ? Et comment l’y sortir ? Moi qui pensais voir le p’tit prétendre aux plus hautes destinées, l’imaginant en ZZ porter haut et fier le trophée Jules Rimet, je le retrouve adepte du maillot ensanglanté de Jean-Pierre Rives. Je décidais de laisser voir, après tout le souvenir télévisuelle d’une voie chantante avait bercé mes jeunes années pendant le tournoi des 5 nations. Et de me rappeler les incantations enthousiastes et méridionales, ces « Allez les petits » encourageant les Aguirre, Bastiat, Fourroux, puis Codorniou, Sella, Blanco…Je me souviens des mots étranges projetés à l’écran, « le mol », « fébriles ces Français »…

Et de trop savoir qu’agir sur un coup de tête nuit gravement au football, laisser une chance au rugby semblait justifié…

Le fleuve tranquille

Sur le bord du terrain, et en compagnie notamment de l’ami beau-parleur converti définitivement en VRP multicartes, je retrouve des sensations connues, des énergies communes déjà vues, un engagement collectif vite identifié. Ces « Vas-y Julien ! », ou « Allez Titouan ! », je les connais par cœur. Ils m’ont suivi toute mon enfance. Ils proviennent de parents frigorifiés piétinant cette même boue collante et gelée qui détrempe les chaussures et parachève l’œuvre de sape qui mène à l’angine…Je retrouve la même conviction chez ces entraîneurs, qui jouent et vivent au même rythme que les petits joueurs. Et je vois les mêmes espoirs, volontés, soutiens chez les parents. Je vois la cohésion s’épaissir, l’entraide rassembler, puis la connivence s’installer.

Le lien inscrit définitivement, le club atteint sa vitesse de croisière. La fameuse croisière qui s’amuse… La vie, juste !