Débordants de ressources,
les enfants remuent, agitent, décollent finalement, l’endormissement
léthargique que nous secrétons trop aisément.
Voici donc, qu’en cette fin d’année
scolaire, une rumeur, colportée par le cercle restreint des parents
festifs, devenait insistante au point que mon propre fils eut jugé
bon me la relayer : les enfants des fameux parents festifs
souhaitaient copiner autour du rugby.
Quelle idée saugrenue, quel prétexte
étonnant. Si, nous, parents, n’imaginons que le meilleur pour
notre progéniture, c’est que nous pensons, en parfaite honnêteté,
et en toute simplicité, avoir réglé définitivement la question de
l’héritage intellectuelle. Mais précisément, comment, mon propre
fils pouvait-il croire que son père allait désavouer, d’un revers
de la main, ce qui l’a porté, enthousiasmé, pour se tourner vers
un autre objet, a fortiori ennemi juré ? Comment cette
ovalie pouvait-elle rendre caduque toute une vie parfaitement
circulaire ? Et quelle déception, surtout, de voir son propre
prolongement vendre son âme au camp d’en-face. Quelle défaillance
éducative, quel dysfonctionnement a pu favoriser cette incongruité ?
Je sentais le questionnement m’envahir, le doute me harceler, je
décidais pourtant de conserver la posture… Contre mauvaise fortune
bon cœur, je décidais de collaborer…
La main à la pâte
Du samedi, devenu lève-tard, j’en
ferai journée blanche, transparente, jour du Seigneur quoi, rien
donc !
Projeté au beau milieu d’un complexe
sportif tout fringuant, et sur une pelouse à faire pâlir de
jalousie les adeptes du ballon-pied, je retrouvais l’un des
parents… dans un rôle que j’ignorais. Tout penaud, le regard
oblique, des petits souliers pour s’y refugier, je lui découvre
une attitude inattendue. Il m’explique dans une rhétorique
visiblement étudiée, l’impérieuse nécessité désormais de
botter en touche les idées reçues, de notre devoir de sortir de la
mêlée, de l’obligation de prendre des risques pour déborder et
s’intercaler, et finalement de ne plus hésiter à franchir la
ligne… Mes doutes quant à son légalisme s’y voyaient confirmer
quand il crut bon d’ajouter que mon fils pourrait désormais
plaquer sans vergogne, haut ou à retardement, que dans les phases de
conquête, il s’était montré doué pour le jeu au sol, qu’il ne
rechignait pas au casse-pipe… Il évoqua les multiples
combinaisons, la passe sautée, les occasions vendangées, la
percussion côté fermé, l’obstruction, la chandelle, et le raffut
engendré… Mes chastes oreilles s’étourdissaient. Je me souviens
surtout de ma solitude. Dans quel pétrin avais-je donc pu autoriser
mon fils à se fourguer ? Et comment l’y sortir ? Moi qui
pensais voir le p’tit prétendre aux plus hautes destinées,
l’imaginant en ZZ porter haut et fier le trophée Jules Rimet, je
le retrouve adepte du maillot ensanglanté de Jean-Pierre Rives. Je
décidais de laisser voir, après tout le souvenir télévisuelle
d’une voie chantante avait bercé mes jeunes années pendant le
tournoi des 5 nations. Et de me rappeler les incantations
enthousiastes et méridionales, ces « Allez les petits »
encourageant les Aguirre, Bastiat, Fourroux, puis Codorniou, Sella,
Blanco…Je me souviens des mots étranges projetés à l’écran,
« le mol », « fébriles ces Français »…
Et de trop savoir qu’agir sur un coup
de tête nuit gravement au football, laisser une chance au rugby
semblait justifié…
Le fleuve tranquille
Sur le bord du terrain, et en compagnie
notamment de l’ami beau-parleur converti définitivement en VRP
multicartes, je retrouve des sensations connues, des énergies
communes déjà vues, un engagement collectif vite identifié. Ces
« Vas-y Julien ! », ou « Allez Titouan ! »,
je les connais par cœur. Ils m’ont suivi toute mon enfance. Ils
proviennent de parents frigorifiés piétinant cette même boue
collante et gelée qui détrempe les chaussures et parachève l’œuvre
de sape qui mène à l’angine…Je retrouve la même conviction
chez ces entraîneurs, qui jouent et vivent au même rythme que les
petits joueurs. Et je vois les mêmes espoirs, volontés, soutiens
chez les parents. Je vois la cohésion s’épaissir, l’entraide
rassembler, puis la connivence s’installer.
Le lien inscrit définitivement, le
club atteint sa vitesse de croisière. La fameuse croisière qui
s’amuse… La vie, juste !